Des expressions artistiques laissent, intrinsèquement, à voir et apprécier simultanément l’artiste et l’œuvre :
la musique, la danse, le chant, le théâtre,… pour d’autres, c’est plus complexe, et rare.
C’est le cas de la peinture d’art.
L’artiste peintre crée ses œuvres le plus souvent dans un environnement confidentiel, intime.
L’amateur n’a généralement accès qu’aux œuvres achevées et exposées dans des lieux institutionnels ou privés.
 
La double promesse : voir l’artiste peindre et se laisser flotter dans un espace-temps improvisé est captivante. Un voyage dans l’inconnue sur le thème du « bonheur » temporaire.
 
Durant le spectacle, j’oscillais entre différentes attitudes : observer, écouter, ressentir, comparer, contempler et aussi mémoriser, s’interroger, analyser, comprendre.
Qui lance l’improvisation ?
Comment tout cela s’organise, un cadre est-il convenu entre les deux artistes ?
Qui s’engage, qui suit, qui s’impose ?
Est-ce un duo de basketteurs, partenaires ou compétiteurs, qui dribblent et jouent avec un ou deux ballons ?
 
Tout va très vite. Difficile de suivre et d’apprécier simultanément les deux prestations, de saisir le dialogue qui apparait un peu crypto-phasique au néophyte.
Il m’a semblé repérer des influences réciproques : parfois subtiles, parfois plus évidentes comme la peintre qui semble répondre aux percussions du pianiste par le son du pinceau frappant la toile.
 
Comment apprécier les deux créations, comment porter une égale attention à l’un et à l’autre ?
Je regardais le pianiste et j’écoutais la musique. J’observais les gestes de la peintre et le résultat sur la toile.
Le tempo était presto, surtout au début.
Je me suis dit « ouah », créer une œuvre picturale mâture si vite, un sacré défi !
Je voyais le pianiste qui suivait l’artiste et les pinceaux, l’éponge, les mains, les doigts, les mouvements du chiffon, les jets de peinture, le choix des couleurs...
Je regardais la direction des gestes de l’artiste et de l’écoulement de la matière : ? ? ? ?.
Je ne crois pas avoir vu de geste partant du bas pour aller vers le haut. Le geste porté par « l’énergie sauvage, ou tellurique », l’énergie qui vient du sol et fuse vers l’espace aérien.
 
J’ai vu la peintre prendre du recul, juger, apprécier. J’ai vu ses gestes se raréfier, et le pianiste hésiter sur la tonalité de l’improvisation finale, les dernières touches…
 
J’ai compris le paradoxe. Une musique, des notes et des sons qui s’évaporent progressivement. Une peinture qui se révèle petit à petit et qui s’offre finalisée aux regards du public à l’instant « zéro » du temps décompté.
À la fin du spectacle, il y un silence spécial, tout s’arrête d’un coup. Une sorte de stupeur. Je regrette qu’à ce moment précis les artistes soient éloignés. J’aurais aimé un geste de rapprochement. Mais la salle, grande, d’une beauté classique et d’un dépouillement sévère, impose de la distance entre les personnes me semble-t-il.
Soudain, massivement éclatent les applaudissements et le sourire des artistes. S’affiche le plaisir de partager son plaisir, de remercier les artistes.
 
Le public restait assis, sage. Il avait l’air d’attendre quelque chose. Après un concert souvent on rappelle les musiciens, en espérant gagner une prolongation musicale.
Là, les codes du duo sont nouveaux. On n’imagine pas redemander à l’artiste peintre, quelques coups de pinceaux supplémentaires ….
Je voulais revoir la toile de très près. Je voulais me pencher sur son centre : dans ma mémoire quasi triangulaire et d’un jaune lumineux assez peu entaché. Le lendemain après midi, je me suis rendue à la salle Debussy mais « le carrosse et la princesse » n’étaient plus là.
 
 
Avec amitié Guylaine Bourse.